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TOKYO-KYOTO EXPRESS

Notes de voyage,

il est écrit à peu près ceci : 

Chaleur étouffante, premières impressions d'un Japon caniculaire, humidité, août, soleil de plomb, je suis en nage bordel. Comment font ces gens pour rester cool et garder leur chemise aussi impeccable ? 

Fou de Tokyo, je n'ai plus ressenti ça depuis l'arrivée à New-York. Je shoot comme un dingue. En parlant de dingue, j'ai emmené un livre qui s'appelle Le Théâtre des opérations II, journal métaphysique et polémique, 2000-2001 de Maurice G. Dantec. 

Je crois beaucoup aux premières impressions, aux premiers passages, il y a toujours quelque chose de fabuleux à voir pour la première fois. Beaucoup de temps trimbalé dans le métro, le drame des métropoles mondes, chacun dans sa solitude. Tokyo me semble particulièrement silencieuse dans le métro. Dehors, c'est l'explosion, adrénaline au taquet et la nuit tout s'accélère, je ne sais plus où regarder, la frénésie, ajoutez à ça les néons et les écrans partout.

 

Les gens rentrent dans de sales états le soir. 

 

"Aucune raison d'écrire quelque chose de sensé. Aucune raison d'écrire tout court. Insomnie carabinée, modèle V8 magnum. Je viens d'écrire plusieurs pages en quelques heures et comme d'habitude en relisant avec la légère distance que prend le peintre pour juger de son trait et de son coup de pinceau tout en ayant une vue d'ensemble je me demande : mais bon sang qui a écrit ça ?"

 

Plus loin : "hideuse absurdité que de raconter sa vie".

 

"Alphonse Daudet se rastaquouère du roman moderne par effraction".

 

"il faut se rendre à l'évidence l'heure de l'armagedon est enfin arrivée !"

 

Maurice G. Dantec

 

 

Je repense immanquablement au premier voyage. En partant en 2015 pour les États-Unis,  je ne connaissais pas grand chose à la photographie. J'avais tout au plus quelques images en tête du New York de William Klein et de la route de Robert Frank. 

 

En venant ici, les motivations étaient légèrement différentes puisqu'entre temps j'avais dévoré "Mémoire d'un chien" de Daido Moriyama. Son esthétique ARE BURE BOKE (brute, floue, trouble) allait peser sur tout mon être. 

4ème jour, départ pour Kyoto, nous prenons le train du futur, direction Fuji, la ville, le mont. 

Première correspondance, le drame. 

Aujourd'hui, j'ai perdu mon portefeuille.

Je ne peux pas m'empêcher de penser à cette phrase de Nicolas Bouvier lue dans "Chronique Japonaise" : Celui qui ici n'accepte pas de commencer par faire l'apprentissage du moins et certain de perdre son temps. 

Le soir, les nuages se sont dissipés au loin laissant apparaitre les cimes de la montagne sacrée. Je ne pourrais jamais oublier ce moment. 

Une fois loin de la fourmilière tokyoite et de ses milliers de visages que je n'ai fait qu'effleurer du regard, la fièvre s'estompe. Tout est vert autour de nous, même ciel de plomb qu'au pays. 

C'est le début d'autre chose. 

Je commence à détester la vue du poisson au petit déj'. 

Tenter de mixer photographie et déconnade avec mes vieux potes. 

Plus de portefeuille, plus d'argent, j'ai moins d'autonomie qu'un enfant de 8 ans. 

La télévision japonaise cette déglinguerie. Hier soir, il y avait à l'écran un jeu de comptabilité. Non seulement mon pote Ivan a pigé les règles, mais en plus il donnait les bonnes réponses. 

Nuit sapé en kimono. 

Dans tout bon voyage, il y a un moment où tu erres à la dérive, où tu ne sais plus où tu es, plus où tu vas, tu n'es même plus sur la route, contre la force du trajet, c'est peut être ça être libre.

Le rythme des prises photos ne diminue pas. Je ne sais pas combien j'en prends chaque jour. Je me force à rien. 

Ma passion c'est le cadrage et la lumière.

Je suis comme les personnages des films de Kitano, au final, je vois l'océan. 

 


 

Aujourd'hui, nous sommes arrivés à Kyoto. Cette fois-ci, je n'ai rien perdu dans le train.

Il arrive un moment où l'oeil est moins à l'affût, où le geste photographique se tarit, devient moins évident et immédiat. 

Est-ce à dire que c'est dès cet l'instant que la photographie devient meilleure ? Pas vraiment, enfin, disons que je crois surtout à l'idée d'une endurance propre à la photo. Comme pour la course à pied, il faut en garder suffisamment sous la semelle pour ne pas se cramer au moment de l'ultime effort. 

Pour le photographe, le risque est de réussir à se dégoûter de regarder. Il n'y a rien de pire en voyage. 

 

 

 

Ultime étape, retour à Tokyo, les derniers jours avant la fin...

Discussion fulgurante sur la boue de notre condition.

Comment aurions-nous réagi après Fukushima si ça avait eu lieu dans ce pays qu'est la France ? 

Pas de dieux, pas de sens, face aux grandes questions métaphysiques qui nous assaillent. 

Pas assez de saké ce soir. 

Fin 


Août 2019

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